Stefan Zweig – Le Combat avec le démon - part 2
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Après Frédéric Nietzsche, Stefan Zweig nous fait pénétrer dans les esprits de deux autres grands de la littérature allemande : Kleist et Hölderlin.
Rappelons que ce texte de Stefan Sweig (1881-1942), Der kampf mit dem dämon, édité pour la première fois en 1937, traduit par Alzir Hella, visite trois figures héroïques : Hölderlin, Kleist et Nietzsche. Ce qui déjà unit les trois figures héroïques de Hölderlin, Kleist et Nietzsche, c’est leur destinée. Sans lien, incompris, de leur génération, ils passent comme des météores rayonnant d’une brève lumière dans les ténèbres de leur mission. Ils frôlent le monde réel. Ils n’obéissent pas à leur volonté, ce sont des possédés, des esclaves d’une puissance mystérieuse, d’un démon.
Henrich von Kleist (1777-1811),
“Il n’était pas, comme Schiller, maître de ses conflits, il en était possédé.”
Homme traqué, toujours en mouvement, passant de Dresde à Bayreuth, à Paris en pleine guerre napoléonienne, de Bâle à Berne, de ville en ville, comme Rimbaud d’un pays à l’autre, Beethoven d’appartement en appartement et Lenau de continent en continent. Stefan Sweig nous introduit dans l’esprit même de ce taiseux par contrainte, par manque de liberté, parce que explique Kleist lui-même : “il manque aux hommes un moyen d’expression. La parole, le seul que nous connaissions, ne convient pas ; elle ne saurait peindre l’âme, elle n’en donne que des lambeaux.”
Qui mieux que Sweig peut décrire le grand poète tragique allemand “déchiré par les sentiments qui s’opposait en lui, il était en état de tension perpétuelle, toujours frémissant, et il vibrait et résonnait comme une corde que le génie touchait.”
Quel plus grand plaisir à l’heure de la médiocrité de notre littérature médiatique nothombesque que d’écouter Stefan Sweig nous ouvrir les portes de La Littérature.
“Toute douleur a un sens, quand la grâce de la création lui est accordée ; elle devient alors la plus grande magie de la vie. Car seul celui dont l’âme est déchirée connaît la soif de la perfection, seul celui qui est traqué atteint l’infini.”
Le XIXème siècle. Après la fanfare de la Révolution Française, la chute des Rois, Bonaparte traçant les frontières de l’Europe à la pointe de l’épée, l’heure de la jeunesse est arrivée. Dans tous les pays se “dressent en même temps, le regard tourné vers les étoiles”, une jeunesse enthousiaste. Le XVIIIème a appartenu “aux vieillards et aux philosophes, à Voltaire et à Rousseau, à Leibnitz et à Kant, à Haydn et à Wieland, aux placides et aux tolérants, aux grands esprits et aux savants maintenant c’est le règne de la jeunesse et l’intrépidité.”
Et pourtant pendant 15 ans, le moulin de la destruction lève sa hache. “Divers est leur trépas, mais pour tous il est précoce.” En France André Chénier, Apollon d’un nouvel hellénisme, trainé à la guillotine le dernier jour de la terreur. En Angleterre en quelques années, John Keats, Shelley et Lord Byron, la plus noble floraison lyrique est anéantie. Pour l’Allemagne Novalis, Kleist, Raimund, Büchner, Hauff, Schubert, expirent avant le temps. Leopardi, Bellini, Gridojedof, Pouchkine endeuillent Italie et Russie. Seul Goethe est toujours debout à Weimar.
“Un seul, un seul de la troupe sacrée, le plus pur de tous, ne veut point quitter cette terre dépouillée de ses dieux, Hölderlin.”
Hölderlin (1770-1843), pour qui la poésie est le sens de la vie. Son génie montre son autre visage, l’obscurité du démon. “Goethe, Shiller et tous les autres reviennent de la poésie comme d’un voyage en pays étranger, fatigués parfois, mais toujours l’esprit assuré et l’âme sereine : Hölderlin, au contraire, sort meurtri de l’état poétique, comme s’il s’était précipité du haut du ciel et il reste blessé, brisé, et comme mystérieusement exilé dans le monde quotidien.”
Qui mieux que Stefan Sweig sait nous faire partager le génie, l’âme meurtrie de celui qui atteint l’infini.
Qui aujourd’hui, en ces temps de petits bourgeois rebelles télédiffusés, pourrait être un Kleist, un Nietzsche ou un Hölderlin ?
Lectori salutem, Patrick