Michel Fauquier – Une histoire de l’Europe

“Désormais l’Europe n’évoque plus, bien souvent, qu’une structure chargée d’assurer la jouissance du temps présent à quelques privilégiés, régnant sur des masses asservies par des systèmes d’assistance ou de subvention assurant leur survie, ainsi que par des divertissements faisant taire leur souffrance et leur inquiétude.”
Mais l’UE, réduite à la sphère économique, n’entretient-elle pas qu’un lien lointain avec l’Europe?
Découvrez l’histoire de l’Europe en onze nœuds ; en onze points aveugles, sources de nos représentations mentales. Chaque nœud est consacré à une période proposant : enjeux, évocation d’une œuvre significative, étude détaillée accompagnée d’une synthèse et d’extraits de sources éclairant le discours avant la présentation d’une courte sélection bibliographique permettant de prolonger le plaisir.
Découvrez la magnifique fresque de l’histoire de notre monde, œuvre d’un historien, d’un praticien du passé, scrutant le passé de l’Europe sans en prétendre prédire l’avenir.
Une réflexion originale, intelligente, neutre aux sources de notre monde et un épilogue en forme d’espérance.

Les fondements : Athènes, Rome et Jérusalem
Nœud 1 : Les Grecs face à l’Orient
“L’hubris était le sommet de l’impiété pour un Grec, car elle mettait en cause la hiérarchie entre les hommes et les Dieux, chaque chose étant censée avoir une mesure propre, ce que les artistes grecs exprimaient en représentant les hommes plus petits que les dieux.”
De la Grèce, cette myriade de cités, qui fit face à l’assaut de l’empire perse. Au-delà de la création des institutions démocratiques, d’un art consommé et de la philosophie, les guerres médiques ont créé un espace, une frontière est-ouest. En effet Philippe II puis son fils Alexandre se lancèrent à l’assaut de l’orient en tentant de créer un empire à cheval sur l’Occident et l’Asie.
De cet échec, une frontière était née !
Nœud 2 : La constitution de l’Occident par Rome
““Delenda est cartago.” Plutarque rapporte que, de retour d’une visite d’inspection dans cette ville, Caton l’Ancien ou le Censeur ouvrait et fermait son discours par cette formule à chacun de ces interventions au Sénat, que son intervention eût ou non un rapport avec Carthage.”
L’auteur brillement trace des lignes de force de la constitution de l’empire romain. L’organisation militaire, les institutions, un droit formel jouèrent un rôle constant jusqu’à l’édit de Caracalla (212 après JC) qui, conférant le droit de cité à tous les habitants libres du monde romain, voyait naître l’Occident et la notion d’État.
Rome devint universelle plus tard avec le christianisme.
Nœud 3 : L’Église, nouvelle espérance
“Les livres les plus importants relatèrent les faits et gestes du Christ, sous le nom d’Évangiles (Bonne nouvelle). Si le débat perdure à propos de la première date de rédaction de ceux-ci, il reste qu’il s’agit de textes de première main, écrits par des témoins directs ou sur l’information de témoins directs. Au plus tard, ils étaient tous composés avant 70 et vraisemblablement avant 65, même si l’évangile de Saint Jean semble avoir été diffusée une première fois à partir de 98.”
Les trente deniers et les pharisiens, Pâques et le Saint Suaire, le chemin de Damas de Saint Paul et l’église universelle, l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, les martyrs et les Pères de l’Église. Des premiers siècles à la reconnaissance de l’Église et la paix constantinienne, le christianisme devenu religion d’État se structure avec les conciles de Nicée (325) puis de Constantinople (381) précisant le Crédo.
Lorsque les Rois barbares soumirent Rome, ils acceptèrent de se soumettre à la religion de leurs vaincus.
La vitalité des nouveaux arrivants, les structures de Rome et le contenu chrétien firent l’Occident.

Les temps médiévaux : un occident chrétien
Nœud 4 : Un nouveau type d’Empire
“Deux amours ont donc bâti deux cités : l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu, celle de la terre, et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même, celle du ciel. L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur.”
En 406 quelques dizaines de milliers de Burgondes, de Suèves et de Vandales, fuyant l’arrivée des Huns, traversèrent le Rhin bousculant les Francs fédérés en précipitant la fin de L’Empire. Toutefois, car le pouvoir s’exprime sous ses deux formes classiques : l’auctoritas et le potestas, l’Empire continua d’exister sous une forme symbolique tant la légitimité était aussi nécessaire que la puissance.
Alors que les Empereurs d’Occident se succèdent des Carolingiens aux Habsbourgs en passant par les Ottoniens et que le Saint Siège lutte pour imposer son rôle temporel, la voie concurrente des royaumes s’est-elle définitivement imposée.
Une autre histoire commença à s’écrire à l’ombre des Rois : celle des Nations.
Nœud 5 : Le construction monarchique, l’exemple français
Chronique d’une prise de pouvoir depuis les Carolingiens finissant, une succession de grands Rois Capétiens permit la constitution du Royaume avec des règles de succession stabilisées, les corps constitués, l’administration malgré les guerres, les croisades, les relations houleuses avec la Papauté. Revisitez cette brillante construction : Le puissant Louis VI le Gros et son conseiller Suger suivi de son fils Louis VII, puis l’incontournable Philippe II Auguste et son petit-fils Louis IX, Saint Louis. Philippe Le Bel et la trouble affaire des Templiers, cet État dans l’État et les temps difficiles jusqu’à l’arrivée en scène de la Pucelle d’Orléans.
“Ce fut le temps où la figure du Roi s’effaçait, celle de l’État et de la Nation s’avançaient, alors que les moines construisaient une autre cité qui garda à l’Occident sa dimension universelle.”
Nœud 6 : La construction monastique, Cluny et Citeaux
“Grandi en dehors du monde et en opposition à ses valeurs, le monachisme finit par irradier ce monde, mais la reconnaissance que lui accorda celui-ci en retour fut la source de déséquilibres, ou du moins de débats, qui amenèrent les âmes d’élite à se détacher du monachisme pour lui préférer la voie ouverte par les ordres mendiants, lesquels conservèrent malgré tout de nombreux traits monastiques.”
Pépin le Bref décida de faire appliquer la règle de Saint Benoît en l’Abbaye de Saint Gall (Suisse) en 747. Le plan dit de Saint Gall resta grosso modo mis en œuvre pour la construction des monastères bénédictins même après St Benoît. Un ensemble orienté et ordonné autour d’un centre, le cloître, selon le principe de rationalité, un modèle répété en son sein avec deux composantes séparées par la clôture.
Et l’auteur de détailler les différentes époques du monachisme chrétien avec Saint Benoît et la restauration bénédictine, Cluny et Cîteaux, Saint Bernard, la controverse avec le breton Abélard puis les ordres mendiants avec les grands esprits du XIIIème siècles : François d’Assise, Dominique de Guzman, Albert le Grand, Thomas d’Aquin…
“Les Mendiants allaient se trouver au cœur des grands défis de l’époque moderne commençante, du fait qu’ils apparaissaient comme des traits d’union entre la cité de Dieu et celle des hommes.”

L’époque moderne : une difficile gestation
Nœud 7 : le désenchantement du monde
“Certains textes qui apparaissent de prime abord dissonants susciteront des questions. Ils obligeront les lecteurs novices à un exercice de recherche de vérité et les conduiront à plus d’acuité dans leur enquête. En vérité, la clé primordiale de la sagesse c’est de poser des questions assidûment et fréquemment […].”
Alors que l’affreux quatorzième siècle avec la Guerre de Cent ans, la Peste noire et le schisme d’Occident et ses Papes mis en doute la présence de Dieu. Les Universités et les Collégiales marquèrent le divorce de la raison et de la foi.
L’on pendra plaisir à comprendre les origines des Universités et leur relation avec le pouvoir spirituel et temporel, la méthode scolastique de Saint Thomas d’Aquin. Les débats – encore présent aujourd’hui - entre les universaux et le nominalisme voyant Guillaume d’Occam ouvrir le champ à la philosophie du soupçon ; un clergé déliquescent et des fidèles exigeants menant à la réforme, les guerres de religion mêlant temporel et spirituel, science et conscience...
“Dans un monde où la foi ne serait plus d’évidence et commencerait à être évacuée de la sphère privée. Le désenchantement atteindrait son terme, alors que la science moderne et les protestantismes avaient achevé de se constituer en magistère concurrents de celui de l’Église. Ayant perdu le ciment de leur unité culturelle, les États européens cherchèrent alors à créer les conditions d’un équilibre géopolitique.”
Nœud 8 : Des puissances à l’équilibre européen
“En fait si Louis XIV n’admettait pas d’entraves à son pouvoir, il a toujours accepté les particularismes, rien ne permettant d’étayer la thèse selon laquelle il les aurait considérés comme des obstacles en eux-mêmes : il faudrait plutôt dire que la monarchie a mené un incontestable effort de centralisation, mais sans verser dans le centralisme.”
Avec aisance, Michel Fauquier décrit la création de l’Espagne moderne à partie de la Castille et Aragon, Navarre avec la première grammaire castillane en 1492. Il fit de même avec la France : le dictionnaire de l’Académie et la reine des batailles. La recherche de l’équilibre entre les puissances militaires et politiques devient le sujet dès le 16ème siècle de traité en paix et de bataille en mariage jusqu’à l’indépendance américaine.
“Un monde nouveau se dessinait, l’Europe n’avait qu’à bien se tenir…Elle ne se tint pas : revenant avec une puissance renouvelée en Europe, les idéaux de liberté qui avaient soufflés en Amérique ébranlèrent fortement les autorités établies, jusqu’à emporter le monde ancien.”
Nœud 9 : Des ténèbres ont jailli la lumière
“On voit en haut la Vérité entre la Raison et l’Imagination ; la Raison qui cherche à lui arracher son voile, l’Imagination qui se prépare à l’embellir. En dessous de ce groupe, une foule de philosophes spéculatifs, plus bas la troupe des artistes. Les philosophes ont les yeux attachés sur la Vérité. La Métaphysique orgueilleuse cherche moins à la voir qu’à la deviner ; la Théologie qui lui tourne le dos et attends sa lumière d’en-haut.”
L’émergence d’un courant de pensée, les despotes éclairés, la doctrine de la séparation des pouvoirs, l’immense Encyclopédie bien sûr, la création d’un homme nouveau…Ce XVIIIème siècle voit le parti philosophique créer une nouvelle religion sapant des deux puissances : le Roi et l’Église tant la seconde est le support de la monarchie et la raison d’être de la seconde.
Un siècle encore obscurci par les pensées politiques contingentes tant il fut riche et contrasté en France et dans le reste de l’Europe avec les Aufklärung, Enlightment ou Illuminismo. L’antilogie des discours, voir l’aporie de leurs réflexions, marquera de son sceau la Révolution.
“La Révolution française devait révéler les contradictions internes du parti philosophique, plus qu’elle ne marqua le triomphe de leurs idéaux, la célèbre formule révolutionnaire pas de liberté, pour les ennemis de la Liberté, résumant à elle-seule une contradiction que n’avait pas résolue le parti philosophique.”

L’époque contemporaine : à la croisée des chemins
Nœud 10 : La Révolution française
“Un vent de critique s’empara de l’opinion naissante, qui lança la curée contre le pouvoir sans porter au crédit du Roi des réformes pourtant chères au parti philosophique : ainsi, en 1779, Louis XVI abolit le servage et la main morte sur son domaine en invitant les autres seigneurs à faire de même, en 1780 il avait supprimé la question dans les enquêtes judiciaires.”
Alors que la France entière se met à penser, à discuter le pouvoir, le Roi, la Religion, le cours devenu fou de la Révolution prend de cours le parti philosophique. Remercions Michel Fauquier pour ce brillant cours sur la Révolution française résumé en 110 pages qui passionnera chacun tant l’auteur sait prendre un recul face à sujet toujours questionné dans ses origines comme dans ses possibles influences sur les révolutions à venir.
“L’ébranlement que la Révolution et le Ier Empire avaient provoqué en Europe n’était que le premier d’une longue série.”
Nœud 11 : L’ère des totalitarismes
“Avec plus de 5 millions de proscrits, le système n’était cependant pas tenable. Loin d’obtenir des résultats qu’il attendait de cette répression, le pouvoir n’en récoltait que des fruits pourris : une masse si impressionnante de condamnés, dont un nombre non négligeable réintégrait à un moment ou à un autre la société, pesait fortement sur elle et y distillait des comportements de survie.”
Qui de la connaturalité des totalitarismes surgissant, camps, meurtres de masse, la haine de la vérité et de l’humain
Vous avez dit totalitarisme, analyse de la montée des deux monstres
De la genèse des 2 monstres, russe et allemand avec, paradoxalement, la pusillanimité et le trouble jeu des dirigeants de l’Ouest. Les camps, Les procès, Hannah Arendt...
“Malgré tout, les totalitarismes n’ont pas éteint toute force morale dans l’humanité, qui n’a pas accepté d’être réduite à l’état d’animalité : si la tentation totalitaire n’est pas éteinte et a peut-être été accrue par le perfectionnement technique, le monde cherche sa voie dans les gémissements d’un nouvel enfantement.”

Épilogue
“Le pardon ne s’oppose d’aucune manière à la justice, car il ne consiste pas à surseoir aux exigences légitimes de réparation de l’ordre lésé. Le pardon vise plutôt cette plénitude de justice qui mène à la tranquillité de l’ordre, celle-ci étant bien plus qu’une cessation fragile et temporaire des hostilités : c’est la guérison en profondeurs des blessures qui ensanglantent les esprits. Pour cette guérison, la justice et le pardon sont tous deux essentiels […].”
Citations
- Nœud 4 : Saint Augustin in La cité de Dieu contre les païens
- Nœud 7 : Pierre Abélard, Sic et non, 1123 in Jean Jolivet, Abélard ou la philosophie dans le langage, Le Cerf, 1994.
- Nœud 9 : Description de Denis Diderot de l’illustration du frontispice l’Encyclopédie commandée à Charles-Nicolas Cochin
- Épilogue : Saint Jean-Paul II, message pour la célébration de la journée mondiale de la paix du 1er Janvier 2020, Vatican, 8 Décembre 2001.
Petites perles
- Istanbul, Constantinople, Byzance : la Ville
Istanbul serait la transcription très approximative par les Turcs de l’expression populaire grecque eis tên Polin : aller à la Ville, le Polin, équivalent de l’Urbs romain.
- Jarnicoton
L’abbé Pierre Coton (1564 – 1626) était le confesseur de Henri IV qui jurait bien souvent par Jarnidieu (je renie Dieu). Le juron fut édulcoré en remplaçant Dieu par Coton, Jarnicoton.
"Tout a toujours très mal marché." Jacques Bainville
"Le pire n’est pas toujours certain. No siempre lo peor es cierto". Caldéron
Éditions du Rocher, 2018, 715 pages pour un 29€ bien investis
Lectori salutem, Patrick