Elena Ferrante – L’amie prodigieuse (enfance et adolescence)

Publié le par Patrick Chabannes

« Je pensais à Lia et moi, cette capacité que nous avions toutes les deux quand nous étions ensemble –seulement ensemble – de nous approprier la totalité des couleurs, des bruits, des choses et des personnes, de nous les raconter et de leur donner de la force. »

Elena et Lila, deux vies s’entrecroisent dans un pauvre quartier de Naples des années 50 à l’ombre du Vésuve ; Lila, une énergie irradiante rompant les équilibres des mondes établis, des passés définissant les futurs ; Elena, aimée de tous, appliquée à prouver à tout le monde son application pour pas à pas briser les cercles du passé pour imaginer son futur ; une amitié indéfectible, grandie à la chaleur de l’émulation et des lectures partagées, forgée par le travail et la volonté, l’amitié comme une arme brisant les équilibres des mondes établis, pour sortir du quartier et de la pauvreté, passer du napolitain à l’italien, se défaire de la camorra, oublier les règles non écrites de l’honneur et des vengeances, s’éloigner de ses amis et des amours d’adolescences et de cette enfance pleine de violence où les femmes comme les hommes se battent et se font mal dans ce monde dur où la mort et le malheur rodent avec leurs noms maudits appris dès l’enfance : typhus, tétanos, bombes, guerre, tuberculose, suppuration…

 

Extraordinaire ouvrage à mettre entre toutes les mains. 

« Je m’imposai une discipline apprise au collège : je travaillai tout l’après-midi et jusqu’à 23 heures, et puis de cinq à sept heures du matin, quand c’était l’heure de partir. »

Cette lecture rafraichissante devrait être sur la table de chevet des nouveaux-venus en terre de France. Oubliant les différences de couleurs de peau et les discours victimaires, ils y trouveraient le matériau de leur combat : travail, lecture, dépassement pour brisant les cercles du passé définir leur propres futurs. Ces napolitains de ce quartier ne parlaient entre eux que le dialecte ; pour en sortir il fallait apprendre l’italien et finir par se sentir étranger dans son propre quartier. « Ce fut comme franchir une frontière. Je me souviens d’une foule dense de promeneurs et d’une différence qui était humiliante. Je ne regardais pas les garçons mais les filles et les femmes : elles étaient totalement différentes de nous. Elles avaient l’air d’avoir respiré un autre air, d’avoir mangé des aliments différents, de s’être habillées sur une autre planète et d’avoir appris à marcher sur des souffles de vent. J’étais bouche bée. En plus, moi je me serais bien arrêtée pour contempler à mon aise leurs habits, leurs chaussures et le genre de lunettes qu’elles portaient quand elles en avaient, mais ces femmes-là passaient sans avoir l’air de me voir. Elle ne voyaient aucun de nous cinq. {…} Nous étions invisibles. Elles ne se regardaient qu’entre elles. »

 

 

« Tout dans notre quartier, chaque pierre, chaque morceau de bois, tout était là avant nous, mais nous avions grandi sans nous en rendre compte, et même sans y penser. »

À tous ceux qui allument la télévision ou leur console de jeux vidéo oubliant que tout était là avant vous, que vous n’êtes que des nains sur des épaules de géants (Bernanos)

 

« Sans amour non seulement la vie des personnes est plus pauvre, mais aussi celle des villes. »

Bande Annonce de la série tournée par Canal+ à partir de ce roman à partir de 2018

NE PAS LIRE SAUF SI VOUS AVEZ LU LE TOME I
Nous les quittons âgées de 16 ans, Lili vient de se marier à Stefano échappant au camorriste Marcello ; le rêve des Cerullo de devenir fabriquant de chaussures aidé par Stefano est entravé par la relation Solara - Carracci révélée lors du dîner de mariage. Comment va réagir Lila à la vue de Marcello Solara portant les chaussures achetées par son mari pour son propre usage ?

Elena continue un parcours sans faute au Lycée ; les mains baladeuses du Père Cerullo bloquent ses sentiments envers Nino ; elle doit se débarrasser de son petit copain Antonio et peut-être plus pour définir seule son futur hors le quartier.

Elena : « Ce fut pendant ce trajet vers la Via Orazio que je commençais à me sentir clairement une étrangère, rendue malheureuse par le fait même d’être une étrangère. J’avais grandi avec ses jeunes, je considérais leurs comportements comme normaux et leur langue violente était la mienne. Mais je suivais aussi tous les jours, depuis six ans maintenant, un parcours dont ils ignoraient tout et auquel je faisais face de manière tellement brillante que j’avais fini par être la meilleure. Avec eux je ne pouvais rien utiliser de ce que j’apprenais au quotidien, je devais me retenir et d’une certaine manière me dégrader moi-même. Ce que j’étais en classe, ici j’étais obligée de le mettre entre parenthèses ou de ne l’utiliser que par traîtrise, pour les intimider. »

Et Lila « Lila était restée là, attachée de manière éclatante à ce monde dont, s’imaginait-elle, elle avait tiré le meilleur. Et le meilleur c’était ce jeune homme, ce mariage, cette fête et le jeu des chaussures pour Rino et son père. Rien à voir avec mon parcours de jeune fille studieuse. Je me sentie vraiment seule. »

 

À propos de l’auteur, Elena Ferrante

Rare, l’auteur n’est connu que sous le pseudonyme de Elena Ferrante. D’aucuns, après des analyses linguistiques menées par l’Université de Padoue corroborant d’autres investigations attribueraient la paternité à un seul auteur Domenico Starnone et/ou à sa femme la traductrice et éditrice Anita Raja. 

 

Quatre tomes :

  1. Tome I L’amie prodigieuse (Enfance et adolescence)
  2. Tome II Le nouveau nom (Jeunesse)
  3. Tome III Celle qui fuit et celle qui reste (époque intermédiaire)
  4. Tome IV L’enfant perdue (maturité et vieillesse)

Un vingtaine de protagonistes représentant la bande de jeunes gens du quartier avec leur parents et leurs frères et sœurs

  • Les Cerullo, la famille de Lila (Lina) avec son père Fernando le cordonnier, sa mère Nunzia, son grand-frère Rino
  • Les Greco, la famille de Elena (Lenuccia, Lenù) avec son père, portier à la mairie de Naples et sa mère
  • Les Carracci, épiciers avec Stefano l’ainé et sa mère Maria, Pinuccia et Alfonso ses frères et sœurs
  • Les Peluso avec le père Alfredo, menuisier, Guiseppina et les enfants Pasquale et Carmela
  • Les Cappuccio avec Melina, la mère un peu folle et Ada et Antonio, mécanicien grâce à Sarratorre
  • Les Sarratorre avec le père, poète et cheminot contrôleur, Lidia et ses enfants Nino, Marisa…
  • Les Scanno, Nicola vendeur de fruits et légumes, Assunta et ses enfants Enzo qui prit la suite du père…
  • Les Solara avec Silvio qui tient le bar pâtisserie avec Manuela et les deux garçons Marcello et Michele
  • Les Spagnuolo, pâtissier chez les Solara avcc Gigliola sa fille
  • Gino, le fils du pharmacien, un autre monde déjà…
  • Les enseignants jouent un grand rôle dans la détection des talents et la pression sur les parents : Mme Oliviero, M Gerace, Mme Galliani

Mille mercis à Isabelle J pour cette idée de lecture et ce prêt amical. Et maintenant je vais emprunter les trois autres volumes ! 

 

Crédit photos : Photos par Alamy Photos 

 

Folio, (Gallimard), 2011 en Italie, 2014 pour la traduction française, 430 pages, 9,70€ bien investis

 

Lectori salutem, Pikkendorff

Publié dans histoire, romans

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